Du Catholic Thing :
Diane Montagna interroge Edward Feser sur « Dignitas infinita ».
Edward Charles Feser est un philosophe catholique américain. Il est professeur agrégé de philosophie au Pasadena City College de Pasadena, en Californie.
4 MAI 2024
Note : Le texte d'aujourd'hui est plus long que ce que nous publions habituellement à TCT, mais l'importance du sujet et le sérieux avec lequel il est traité ici font qu'il vaut la peine d'être lu - jusqu'à la fin. - Robert Royal
DIANE MONTAGNA (DM) : Dignitas infinita s'ouvre sur l'affirmation suivante : « Toute personne humaine possède une dignité infinie, inaliénablement fondée sur son être même, qui prévaut dans et au-delà de toute circonstance, état ou situation qu'elle peut rencontrer. » Cependant, saint Thomas d'Aquin écrit : « Dieu seul est d'une dignité infinie, et c'est pourquoi lui seul, dans la chair qu'il a assumée, a pu satisfaire l'homme de manière adéquate ». (Solus autem Deus est infinitae dignitatis, qui carne assumpta pro homine sufficienter satisfacere poterat).
Lors de la conférence de presse organisée au Vatican pour présenter la nouvelle déclaration, le cardinal Victor Manuel Fernández a fait remarquer que l'expression « dignité infinie » était tirée d'un discours prononcé en 1980 par le pape Jean-Paul II à Osnabrück, en Allemagne. JPII avait alors déclaré : « Dieu nous a montré avec Jésus-Christ « Avec Jésus-Christ, Dieu nous a montré de manière insurpassable comment il aime chaque homme et le dote ainsi d'une dignité infinie ».
La nouvelle déclaration semble fonder explicitement cette dignité sur la nature, et non plus seulement sur la grâce. La Déclaration fait-elle donc disparaître la distinction entre le naturel et le surnaturel ?
EDWARD FESER (EF) : L'un des problèmes de Dignitas infinita, comme de certains autres documents publiés pendant le pontificat du pape François, est que les termes théologiques clés ne sont pas utilisés avec précision. Une grande partie de la force des déclarations découle de leur puissance rhétorique plutôt que d'un raisonnement minutieux. Il faut donc être prudent lorsqu'on essaie de déterminer ce qui en découle strictement. Ce que l'on peut dire, en revanche, c'est que c'est précisément à cause de cette imprécision que l'on risque de donner l'impression d'autoriser certaines conclusions problématiques. L'effacement de la frontière entre le naturel et le surnaturel en est un exemple. Par exemple, la réalisation de la vision béatifique conférerait évidemment à l'être humain la plus haute dignité dont il est capable. Par conséquent, si nous disons que les êtres humains ont par nature, et pas seulement par grâce, une « dignité infinie », cela pourrait sembler impliquer que, par nature, ils sont orientés vers la vision béatifique.
Les défenseurs de la Déclaration souligneront sans doute que le document lui-même ne tire pas une conclusion aussi extrême. Et c'est vrai. Le problème, cependant, est que la Déclaration ne prévoit ni n'aborde exactement ce qui est exclu ou non en attribuant une « dignité infinie » à la nature humaine. Pourtant, dans le même temps, la Déclaration met fortement l'accent sur cette notion et sur ses implications radicales. C'est une recette pour créer des problèmes, et le document lui-même crée de tels problèmes dans son application de la notion de « dignité infinie » à la peine de mort, entre autres sujets.
Par ailleurs, l'importance de la remarque du pape Jean-Paul II dans les années 1980 a été largement surestimée. Il a fait référence à la « dignité infinie » en passant dans un discours mineur, de faible poids magistériel, consacré à un autre sujet. Il n'en tire pas non plus de conclusion nouvelle ou capitale. Il s'agissait d'une remarque spontanée plutôt que d'une formule précise, et il ne l'a pas faite dans le cadre d'un traitement doctrinal formel et soigneusement réfléchi de la nature de la dignité humaine. Quoi qu'il en soit, il ne fonde pas cette notion de dignité infinie sur la nature humaine elle-même.