Un article publié ce jour par Hubert Leclercq dans La Libre Afrique :
« Faut-il s’attendre à une importante purge dans les services de sécurité après que des hommes en armes ont attaqué la maison de Vital Kamerhe [Kivutien bien connu, né en 1959 à Bukavu ndbc] et le Palais de la Nation.
Nouvelle strate dans le mille feuilles politico-surréaliste de la République démocratique du Congo sous la présidence de Félix Tshisekedi.
Ce dimanche 19 mai, une trentaine d’hommes en armes ont fait irruption sur les réseaux sociaux en fin de nuit, paradant dans les couloirs vides du Palais de la Nation de Kinshasa, la résidence de travail du président de la République. Un des sièges du pouvoir en RDC, hérité de la période coloniale quand l’endroit, démesuré, bâti fin des années 50 au bord du fleuve Congo, était le lieu de résidence du gouverneur général, le représentant du Roi, dans la colonie.
Depuis cette époque, le palais a surtout abrité le parlement avant que celui-ci ne déménage à quelques kilomètres de là au début des années 2000.
Mais le président de la République ne loge pas dans ce Palais de la Nation, ce qui interroge sur les objectifs des mutins qui se sont emparés de l’endroit où ils ont pu descendre les couleurs congolaises pour faire flotter au vent – pas encore levé – le drapeau zaïrois, sans jamais mettre en danger le pouvoir en place en RDC.
Le leader du mouvement, Christian Malanga, abattu en fin de matinée après sa débâcle, était à la tête d’un parti politique baptisé New Zaïre. Ce membre de la diaspora congolaise était de passage en Belgique il y a une dizaine d’années pour présenter son mouvement et expliquer, avec un accent américain surjoué, qu’il entendait rétablir l’ordre dans le pays en renversant le pouvoir de “l’usurpateur Kabila”.
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Ce dimanche 19 mai, dans les quelques mots prononcés sur les réseaux sociaux, Christian Malanga, présenté aussi comme un ancien militaire, répétait sa détermination à en finir avec le pouvoir en place et à relancer le Zaïre. Son aventure n’aura duré qu’une poignée d’heures. En fin de matinée, la photo de son corps gisant dans l’herbe a commencé à circuler sur les réseaux sociaux. La quarantaine d’hommes qui l’accompagnaient a été faite prisonniers, la plupart ayant tenté de se cacher dans les hautes herbes et la boue du fleuve Congo. Parmi les assaillants, deux Américains, un Britannique, le propre fils de Christian Malanga, des Congolais issus de la diaspora et des Congolais de plusieurs régions de la RDC.
Les faits
Selon plusieurs témoignages, l’opération a débuté dans le quartier de Binza Pigeon, sur les hauteurs de Kinshasa, vers 2 heures 30 du matin. Les mutins sont passés par les quartiers de Delvaux et Kitambo Magasin où ils ont car jacké des véhicules. Ils sont ensuite passés par la demeure de Vital Kamerhe, ministre sortant de l’Économie, désigné candidat de la mouvance présidentielle pour la présidence de l’Assemblée nationale. Là, des coups de feu ont été échangés. Deux membres de la sécurité de la famille Kamerhe ont été abattus, ainsi qu’un assaillant, sans que ceux-ci ne tentent de pénétrer dans le bâtiment. Cette “parcelle” n’est qu’à quelques centaines de mètres du Palais de la Nation où les mutins sont ensuite entrés sans rencontrer de réelle résistance. Là, ils ont mis en scène leur coup de force et ont diffusé plusieurs messages sur les réseaux sociaux. C’est aussi là que s’est achevée cette aventure pour Christian Malanga, retrouvé abattu, tandis que tous ses hommes étaient arrêtés.
Les cibles
Vital Kamerhe, l’ex-colistier du président Tshisekedi en 2018 a été la seule personnalité réellement ciblée par ces “putschistes”. L’homme, ancien fort du régime Kabila, est une personnalité clivante dans l’actuelle majorité présidentielle. “La visite de ces mutins apparaît comme une mise en garde à cet homme dont les ambitions présidentielles n’ont jamais été totalement effacées”, explique un diplomate en place à Kinshasa. “Il a fait allégeance à Félix Tshisekedi mais il n’a pas convaincu tout le monde dans la famille Tshisekedi”, insiste un habitué des cercles de pouvoir à Kinshasa. “Quelle que soit la portée exacte de cette manœuvre, c’est un fait politique grave”, explique Bob Kabamba, politologue de l’université de Liège. “Cela montre qu’il y a une vraie crise entre les différentes composantes du pouvoir, poursuit-il, et c’est aussi un camouflet pour les services de sécurité. Comment expliquer que des hommes en armes puissent se balader dans Kinshasa sans être inquiété pendant un long moment ?”
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Selon l’armée, les mutins auraient aussi ciblé la Première ministre Judith Suminwa Tuluka et le ministre de la Défense Jean-Pierre Bemba. Mais ne connaissant pas l’adresse de la première et sachant le second absent, ils se seraient rabattus sur la demeure de Vital Kamerhe. Un scénario qui, s’il devait être confirmé, démontrerait l’immense amateurisme de ces mutins.
L’ombre de Mobutu et d’Etienne Tshisekedi
”Il faut s’attendre à un grand nettoyage dans les services de sécurité”, poursuit Bob Kabamba. “Il ne faut pas oublier que ces événements se produisent alors que le pays est en guerre à l’est, que l’état de siège est toujours décrété dans deux provinces et que des tensions sont palpables dans de nombreuses régions mais aussi dans tous les cercles politiques d’une majorité écrasante qui ne parvient pas à mettre sur pied ni le bureau de l’Assemblée nationale, ni le gouvernement. Ce qui s’est passé chez Vital Kamerhe peut-être vu comme une mise en garde. Comment expliquer que les mutins sont arrivés à la porte de la maison mais ne sont pas entrés. Étrange. Ce peut être regardé comme un message à tous les membres de la majorité. Désormais, vous suivez la musique sifflée par la présidence ou vous vous exposez à de sérieux soucis.”
Ces événements, à la veille de la Pentecôte, rappellent aussi les martyrs de cette fête chrétienne. Quatre hommes politiques arrêtés le jour de la Pentecôte et condamnés à mort quelques jours plus tard pour avoir tenté de planifier le renversement du Maréchal Mobutu. Un certain Etienne Tshisekedi était alors ministre de l’Intérieur et un des plus farouches partisans de l’exécution de ces hommes malgré les appels à la clémence venus de Washington, Bruxelles ou Paris. »