Le regard d'un historien et politologue portugais sur la situation en Belgique...
De Rafael Pinto Borges sur The European Conservative :
Le naufrage de la Belgique est un signal d'alarme pour l'Europe
L’ordre public n’est pas un luxe optionnel, mais la condition préalable à la prospérité et à une vie commune décente.
La lettre envoyée la semaine dernière par un juge d'instruction – rédigée sous protection policière, implorant une protection contre les trafiquants de drogue – était bien plus qu'un cri de désespoir professionnel. C'était le cri d'une nation qui se fissure. « Nous ne sommes plus en mesure de protéger nos citoyens, ni nous-mêmes », écrivait le juge. Après quatre mois passés dans un lieu sûr, le magistrat se retrouve sans aucun soutien de l'État, sans aucune indemnisation, et sous la menace d'une ligne invisible qui s'étend à tous les niveaux du système judiciaire. Le ton de la lettre était mesuré – et d'autant plus accablant. Un juge y reconnaissait que la Belgique est, de fait, en train de devenir un narco-État.
Rien de tout cela n'est vraiment surprenant : les preuves s'accumulent depuis des années. Anvers, le deuxième port d'Europe, est devenu la principale porte d'entrée du continent pour la cocaïne. En 2023, les autorités belges ont saisi près de 120 tonnes de drogue, une saisie record, qui ne représente pourtant qu'une fraction de la quantité réellement autorisée à transiter par le territoire. La banlieue de la ville est ravagée par les guerres de gangs, les fusillades au volant et les attentats à la voiture piégée . Juges et policiers vivent sous la menace constante.
Mais le trafic de drogue n'est que le symptôme visible d'un mal plus profond. L'appareil administratif belge est sclérosé. La paralysie politique est devenue la norme : entre 2010 et 2011, le pays a établi un record mondial de durée sans gouvernement fonctionnel – 589 jours. Plus tard, entre 2018 et 2020, il est resté sans cabinet pendant une période stupéfiante de 652 jours. Sa bureaucratie est labyrinthique, ses impôts écrasants et la dette publique approche rapidement les 110 % du PIB. Les deux communautés linguistiques du pays, la Flandre néerlandophone et la Wallonie francophone, n'ont guère en commun qu'un drapeau et un roi.
Le royaume a connu un déclin considérable. Du début du XXe siècle, où la Belgique figurait parmi les nations les plus riches du monde, une puissance industrielle pionnière dont l'acier, les textiles et les machines alimentaient les marchés mondiaux, la Belgique s'est réduite à la situation actuelle, croulant sous les dettes. La croissance de la productivité stagne depuis plus d'une décennie. Le chômage à Bruxelles avoisine les 15 %, tandis que les dépenses publiques absorbent plus de la moitié du revenu national (54,4 % du PIB). Le système de protection sociale est vaste et généreux, mais lui aussi est au bord de la rupture.
À cela s'ajoutent les tensions liées à une évolution démographique rapide. La Belgique affiche aujourd'hui l'un des taux d'immigration les plus élevés d'Europe par rapport à sa population. À Bruxelles, moins de 22 % des habitants ont deux parents nés en Belgique. En 2021, 42 % de la population bruxelloise était d'origine non européenne ; la situation est encore plus alarmante aujourd'hui. Les écoles de la ville sont confrontées à la surpopulation, à la fragmentation linguistique et à une intégration inégale.
Au final, cela va de soi. La police le sait, les magistrats le savent, et les citoyens ordinaires le savent. Ce qui manque, c'est le courage politique de le dire clairement. Pendant des années, les dirigeants belges se sont consolés en se disant qu'en tant que capitale de l'Europe, les problèmes de leur pays étaient ceux de tous – et donc, d'une certaine manière, la responsabilité de personne. Ils ont présidé au suicide de ce qui fut, historiquement, l'une des régions les plus prospères du continent européen – et l'ont laissée en situation de faillite.
La catastrophe belge est un avertissement pour l'Europe. Les forces mêmes qui érodent l'État de droit dans le pays – effondrement des institutions, violences urbaines de masse, économie de la drogue et réseaux migratoires incontrôlés – se propagent rapidement à travers toute l'Europe. En Belgique, elles se sont conjuguées de manière exceptionnellement précoce et explosive. Ailleurs, elles ne font que prendre de l'ampleur.
Que peut-on tirer, le cas échéant, du naufrage belge ? Quand les juges doivent dissimuler leur adresse, quand les maires ont besoin de gardes du corps, et quand les citoyens cessent d’espérer que justice soit faite, alors le contrat social est déjà rompu. C’est lorsque la disparition d’une communauté entraîne celle de l’État lui-même. Aussi désolante que soit la situation, il est peut-être encore possible d’enrayer, voire d’inverser, la tiers-mondisation du royaume. Mais la première étape consiste à reconnaître l’existence de la crise, son caractère structurel, et le fait que rien ne se résoudra à ce stade sans un choc.
L'heure est à l'action. C'est maintenant. En Belgique, la lutte contre les narco-mafias doit être menée avec le même sérieux qu'on réservait autrefois à la lutte antiterroriste. La classe politique doit retrouver la force morale de comprendre que l'ordre public n'est pas un luxe, mais la condition sine qua non de la prospérité et d'une vie commune digne. Cependant, si le mal profond n'est pas traité, l'action policière ne sera qu'un palliatif. Si les Belges veulent libérer leur pays des chaînes du crime organisé étranger, ils devront, tôt ou tard, se rendre à l'évidence : la Belgique ne redeviendra pas ce qu'elle était si elle ne se redéfinit pas. Le peuple belge saura-t-il relever le défi ? Le gouvernement aura-t-il le courage d'assumer cette tâche ? Aujourd'hui, il s'agit bel et bien d'une question de survie nationale.






